mercredi 29 février 2012

Le Dimanche de l’Orthodoxie

 
Dans les Eglises orthodoxes qui, dans leur immense majorité, suivent pour la date de Pâques le calendrier julien, le « Dimanche de l’Orthodoxie », qui coïncide avec le premier dimanche de carême, va être célébré dimanche prochain. L’infime minorité d’entre elles qui suivent le calendrier grégorien (l’Eglise orthodoxe de Finlande, l’Eglise orthodoxe de France…) l’ont célébré le dimanche passé. Quelle que soit la date, la célébration est la même.
 
Qu’est-ce que ce dimanche a de particulier ? on y célèbre le « triomphe de l’Orthodoxie ». Qu’est-ce à dire ?
 
Cette fête est étroitement liée à l’iconoclasme. Cette doctrine condamnait les icônes comme objets de cultes idolâtres à l’instar des représentations des divinités païennes et en prescrivait la destruction. Pareille doctrine était tributaire, des études l’ont prouvé, d’une part du judaïsme, toujours présent dans l’empire byzantin, et d’autre part de l’islam, de plus en plus présent aux frontières du même empire, et qui renouvela avec force l’interdiction des images figurées déjà présente dans la Thora.
 
Pour des raisons trop longues à expliquer ici, cette doctrine devint la doctrine officielle de l’empire de 717 à 843, avec un répit de 780 à 813. Tous les empereurs de ces deux périodes iconoclastes déclenchèrent contre les « iconodoules », partisans de la vénération des icônes, qualifiés d’ « iconolâtres » des persécutions qui ne le cédèrent en rien aux persécutions des empereurs païens, avec destruction des icônes et de lieux de cultes, tortures et mise à mort de ceux, en particulier des moines, qui s’y opposaient.
 
Ce fut grâce à deux impératrices que la piété orthodoxe l’emporta. La première fut l’impératrice Irène qui, devenue régente, réunit à Nicée le septième et dernier concile œcuménique, dit Nicée II, en 780. Ce concile décréta l’iconoclasme comme hérésie, anathématisa ses sectateurs, ordonna la destruction des écrits iconoclastes et rétablit solennellement le culte des icônes.

A partir de 813 se succédèrent jusqu’en 843 une nouvelle série d’empereurs qui rétablirent l’iconoclasme comme doctrine officielle, sans cependant à se livrer à autant de persécutions physiques, tant la situation de l’empire face aux armées musulmanes était critique. Ce fut cette fois l’impératrice Théodora qui, devenue à son tour régente, réunit un synode qui révoqua les rescrits impériaux antérieurs et rétablit les canons du 2e concile de Nicée. Ce fut la fin à la fois officielle et réelle de l’iconoclasme. Décision fut alors prise de célébrer le concile de Nicée II par la grande fête du « triomphe de l’Orthodoxie ».

Pourquoi « triomphe de l’Orthodoxie » ? Parce que, théologiquement, les icônes ne sont pas des images pieuses ou religieuses. Elles sont des témoignages tangibles à la fois de l’incarnation de Dieu et de la déification de l’homme. Elles montrent Dieu fait homme selon des formes terrestres, figurées par des lignes, courbes et couleurs, et des hommes transfigurés, « déifiés » - les saints – dont les formes terrestres sont transfigurées par la gloire divine. Elles représentent donc un autre monde, le monde à venir – d’où le refus des caractéristiques du monde présent : ombres, perspective, etc. L’acte de peindre ou, selon l’expression traditionnelle, « d’écrire » une icône, est un acte liturgique qui requiert prières et ascèse préalables.

La production et la vénération – non l’adoration – d’une icône sont des actions théologiques qui donnent accès au monde transfiguré où l’image de Dieu en l’homme a recouvré la ressemblance.
 
C’est pourquoi, en cette fête, on décroche toutes les icônes de l’église que le clergé présente au peuple tandis qu’est proclamé le « symbole de saint Athanase », qui résume la totalité et l’intégrité de la foi orthodoxe. Puis à la fin de la liturgie il est fait mémoire des « défenseurs de la foi des sept conciles œcuméniques », et des « Pères parmi les saints » saint Athanase le Grand, saint Basile le Grand, saint Cyrille d’Alexandrie, saint Léon le Grand, l’empereur Justinien, saint Maxime le Confesseur et saint Jean Damascène. Ensuite sont souhaitées « beaucoup d’années » à tous les patriarches et primats actuels des Eglises orthodoxes de par le monde.

mardi 28 février 2012

Le Pardon par saint Jean de Cronstadt


 
"Si vous pardonnez aux gens leurs péchés, votre Père céleste aussi vous pardonnera vos péchés" dit le Seigneur (Mat.VI,14-15).

Ce dimanche s'appelle dans la langue populaire "dimanche du Pardon" [1]. Depuis les temps anciens, on garde la coutume en ce jour et durant toute la semaine de la Tyrophagie[2], de se demander mutuellement pardon pour les péchés commis l'un envers l'autre. Magnifique coutume, authentiquement chrétienne : qui de nous, en effet, ne pèche pas contre son prochain, que ce soit en paroles, en actes ou en pansées? En demandant pardon à l'autre, nous montrons notre foi en l'Evangile, notre humilité, notre refus du mal, notre amour de la paix. Au contraire, ne pas désirer demander pardon montre notre peu de foi, la suffisance, la rancune, l'insoumission à l'Evangile, la résistance à Dieu, la complicité avec le Diable.

Pourtant nous sommes tous enfants du Père céleste par la grâce, membres du Christ notre Dieu, membres de l'unique corps, l'Eglise, qui est Son Corps, et membres les uns des autres ; Dieu est Amour (I Jn.IV,8); et plus que tous les holocaustes et les sacrifices, Il exige de nous un amour mutuel, qui est patient, fait miséricorde, n'envie pas, ne s'enfle pas, ne s'enorgueillit pas, ne fait pas de scandale, ne recherche pas son intérêt, ne s'irrite pas, ne tient pas rancune, ne se réjouit pas de l'injustice, mais se réjouit de la vérité. Il excuse tout, croit tout, supporte tout et jamais ne cesse (I Cor.XIII,4-8). Toute la loi tient en deux mots : aime Dieu et ton prochain. Le coeur de l'homme est extrêmement égoïste, impatient, jaloux de son dû, méchant et rancunier ; il est prêt à s'emporter contre son frère contre un mal patent, mais aussi pour un mal imaginaire, pour une parole offensante, mais aussi pour une parole équitable ou tranchante - et même pour un regard qui a semblé peu indulgent, u équivoque, rusé, fier, c'est tout juste s'il ne s'emporte pas contre les pensées du prochain, celles qu'il lui invente. Le Seigneur qui sonde les cœurs, dit ceci : c'est du cœur que sortent les pensées méchantes, adultère, débauche, meurtre, vol, emportement, méchanceté, fourberie, obscénités, envie, blasphème, orgueil, déraison (Mc.VII,21-22). A la méchanceté humaine doit être opposée l'infinie bonté et la grâce toute puissante de Dieu ; avec son secours, il est aisé de fuir tout mal par la douceur, la bonté, l'esprit de concession, la patience et la longanimité. (...) En échange des péchés pardonnés au prochain, le Père céleste nous promet le pardon de nos péchés, l'acquittement au Jugement dernier, la béatitude éternelle ; les miséricordieux obtiendront miséricorde (Mat.V,7). La méchanceté invétérée doit s'attendre au juste Jugement de Dieu et au tourment éternel.

Ecoutez ce récit qui montre comment Dieu punit dès ici-bas les méchants qui ne veulent pas se réconcilier entre eux. Dans la laure des Grottes de Kiev, il y avait deux solitaires -deux moines- le prêtre Tite et le diacre Evagre. Après avoir vécu quelques années en bonne intelligence, pour une raison quelconque, ils se prirent d'inimitié et de haine l'un envers l'autre ; leur animosité mutuelle dura fort longtemps, et eux, sans se réconcilier, avaient l'audace d'offrir à Dieu le Sacrifice non sanglant de l'Autel.

Tous les conseils de la communauté, de laisser là leur colère et de vivre entre eux dans la paix et la bonne entente, demeurèrent vains. Un jour le prêtre Tite tomba gravement malade. Désespérant de survivre, il commença à pleurer amèrement son péché et envoya quelqu'un demander pardon à celui qu'il n'aimait pas ; mais Evagre ne voulut même pas en entendre parler et se mit à le maudire sans pitié. La communauté des frères, déplorant un si grave égarement, l'amena de force auprès du mourant. Tite, apercevant son ennemi, se dressa sur sa couche avec l'aide des autres et tomba devant lui, le suppliant avec des larmes de lui pardonner. Mais Evagre était si inhumain qu'il se détourna de lui et s'écria avec fureur : ni dans cette vie, ni dans l'autre, je ne veux me réconcilier avec lui ! Il s'arracha des mains de la communauté et tomba à terre. Les moines voulurent le relever, mais quelle ne fut pas leur surprise de le voir mort, et si froid qu'on eût dit qu'il avait expiré depuis longtemps! Leur surprise s'accrut encore quand ils virent au même moment le prêtre Tite se lever en bonne santé de sa couche de douleur, comme s'il n'avait été jamais malade. Frappés de stupeur devant un événement si inattendu, ils entourèrent Tite et l'un après l'autre l'interrogeaient : qu'est-ce que cela signifie ? Il répondit : "J'étais dans cette grave maladie, jusqu'à ce que moi, pécheur, qui m'étais emporté contre mon frère, je visse les Anges s'éloigner de moi et verser des larmes sur la perte de mon âme et les esprits impurs se réjouir. Voilà la raison pour laquelle j'ai désiré plus que tout me réconcilier avec lui. Mais comme on me l'amenait, que je me prosternais devant lui et que lui commençait à me maudire, je vis un Ange menaçant de le frapper avec une lance de feu, et le malheureux tomber à terre, mort. Et le même Ange me tendit la main et me releva de ma couche de douleur." Les moines pleurèrent la terrible mort d'Evagre et depuis lors ils commencèrent à veiller à ce que jamais le soleil ne se couche sur leur colère.

Frères et sœurs, la rancune est le plus terrible des vices, elle est aussi détestable devant Dieu que funeste dans la société. Nous sommes créés à l'image et à la ressemblance de Dieu : la bonté et l'innocence doivent être nos vertus permanentes ; car Dieu se conduit à notre égard selon sa Bonté ; Il est lent à la colère et nous pardonne sans compter. Nous aussi nous devons pardonner. Mais le rancunier n'a pas en lui l'image et ressemblance de Dieu, il est plutôt une bête qu'un homme. Amen."

Saint Jean de Cronstadt

1 Dernier dimanche avent le carême dans le calendrier orthodoxe oriental.
2 "Semaine des laitages" : ceux-ci sont encore permis, avant de disparaître la semaine suivant jusqu'au terme du carême.





L'hostilité du maire de Paris à la (future) cathédrale russe de Paris

mardi 28 février 2012



Le maire de Paris est hostile au projet architectural de la nouvelle église orthodoxe russe à Paris.


Le maire de Paris, Bertrand Delanoë a exprimé sa "très nette opposition" au projet architectural de la nouvelle église orthodoxe russe à Paris (quai Branly). Il regrette une "architecture de pastiche" et en appelle à l'Unesco. L'avis du maire de Paris sur le projet est consultatif.


http://www.orthodoxie.com/2012/02/le-maire-de-paris-bertrand-delano%C3%AB-exprime-son-opposition-au-projet-architectural-de-la-nouvelle-%C3%A9gl.html?utm_source=feedburner&utm_medium=feed&utm_campaign=Feed%3A+typepad%2Forthodoxie+%28Orthodoxie%29&utm_content=Google+Feedfetcher

Le maire de Paris est-il vraiment compétent en matière d'architecture religieuse ?

dimanche 26 février 2012

La prière de saint Ephrem le Syrien





Depuis le début du Grand Carême et jusqu'à son terme,  qu'ils suivent le calendrier occidental (gégorien) ou oriental (julien) les fidèles othodoxes scandent leur journée par la récitation de la prière de Saint Ephrem au cours et à la fin de chaque office liturgique comme dans leurs actes de piété privée. Cette prière va ainsi rythmer tout ce temps de pénitence, car elle est par excellence la prière qui induit à la pénitence.

Elle est, comme on peut le voir, consituée de trois demandes. A la fin de chaque demande, on fait une "métanie", c'est-à-dire une prosternation jusqu'au sol. Or le terme de "métanie" n'est autre que la transposition en français du terme grec "metanoia" qui veut dire littéralement "retournement", c'est-à-dire l'acte physique, corporel de la pénitence. Selon les termes du père Alexandre Schmemann, ce grand théologien contemporain : "L'homme tout entier, dans sa chute, s'est détourné de Dieu, l'homme tout entier devra être restauré ; c'est tout l'homme qui doit revenir à Dieu. (...) Pour cette raison, tout l'homme - corps et âme - se repent. Le corps participe à la prière de l'âme, de même que l'âme prie par et dans le corps. Les prosternements, signes psychosomatiques du repentir et de l'humilité, de l'adoration et de l'obéissance, sont donc le rite quadragésimal par excellence."[Alexandre Schmemann, Le Grand Carême, Abbaye de Bellefontaine, 1974].

On répète ensuite douze fois : "Ô Dieu, purifie-moi, pêcheur".

On redit ensuite la prière tout d'une traite sans métanies.


Ce double mouvement du corps symbolise le double mouvement de la personne humaine : mort et résurrection.

Pour faciliter l'entrée dans cette prère dense et puissante, je reproduit ici une très belle méditation d'Olivier Clément.


La prière de saint Ephrem le Syrien

Seigneur et maître de ma vie,
l'esprit d’oisiveté, de découragement, de domination, et de paroles faciles,
éloigne de moi ;

l’esprit de pureté, d'humilité, de patience et de charité,
donne à ton serviteur ;

oui, Seigneur et Roi,
donne-moi de voir mes fautes et de ne pas juger mon frère,
car tu es béni dans les siècles des siècles,

Amen.

Cette prière, due à saint Ephrem le Syrien (306 env.-373), ponctue les offices de Carême. On la répète trois fois, en faisant trois grandes «métanies» qui sont des prosternations front contre terre. Métanie (métanoïa) désigne justement la pénitence comme retournement de toute notre saisie du réel.

Seigneur et maître de ma vie

« Seigneur » suggère le mystère inaccessible du « Dieu au-delà de Dieu », hyperthéos. Ce Dieu pourtant ne m'est pas étranger, il me fait exister par sa volonté, il anime ma boue de son Souffle, il m'appelle et sollicite ma réponse, il devient par son incarnation le « maître de ma vie». C'est lui qui donne sens à ma vie, même et surtout quand ce sens m'échappe. « Maître » ici, tout en soulignant la transcendance, ne signifie pas tyran mais Père sacrificiel et libérateur qui veut m'adopter dans son Fils et respecte infiniment ma liberté. Son Fils incarné, en qui il est entièrement présent, naît dans une étable, se laisse assassiner par notre liberté cruelle, ressuscite mais ne se révèle qu'à ceux qui l'aiment. Or ce «maître» crucifié reste le Maître de la Vie. Lui seul peut libérer notre liberté, lui seul peut transfigurer dans son Souffle vivifiant l'obscure passion de nos vies. La grandeur de ce Roi est de se faire notre serviteur. «Je suis parmi vous comme celui qui sert.»

Ma relation à ce Maître n'est donc pas de servitude mais de libre confiance. Il est le « maître de ma vie »parce qu'il en est la source, parce que je ne cesse de la recevoir de lui, parce qu'il est celui qui donne et qui pardonné, c'est-à-dire donne encore, en surabondance, un avenir renouvelé «Va, et ne pèche plus.»Je n'existe que par cet amour infiniment discret qui m'élève au-delà de tout conditionnement, de toute nécessité, qui se fait serviteur pour que ceux qui se veulent ses serviteurs deviennent ses amis. L'ascèse que le Carême accentue ne peut être de libération vraie que dans le mouvement de la foi. Et la foi, c'est d'abord le risque de la confiance. En toi, maître de la vie qui se révèle dans un Visage, je mets toute ma confiance. En ta parole, en ta présence car tu n'es pas seulement un exemple, tu es le non-séparé qui te fais notre lieu, un lieu de non-mort: «Venez à moi, vous tous qui êtes chargés et fatigués et je vous donnerai du repos.» Se reposer, se poser doublement, dans le divin et dans l'humain. Un lieu, pour nous orphelins de la terre natale, des sages coutumes, des civilisations certes âpres et dures mais de silence et de lenteur, pour nous nomades sans poésie des mégapoles, tu es le lieu de la vie, son maître. En ce lieu, nous creuserons les catacombes d'où germeront les cathédrales de l'avenir.

L’esprit d’oisiveté, de découragement, de domination, et de paroles faciles, éloigne de moi ;

Il y a un chemin. Tu es le chemin. Mais sur ce chemin, des obstacles. Qui définissent notre condition fondamentale de péché, celle que Jésus a rappelée à ceux qui voulaient lapider la femme adultère. La «paresse» n'est pas la clinophilie d'Oblomov, voire de nos matins de vacances. La paresse signifie l'oubli, dont les ascètes disent qu'il est le «géant du péché». L'oubli, c'est-à-dire l'incapacité à s'étonner et à s'émerveiller, à voir. Le non-éveil, une espèce de somnambulisme, celui de l'agitation comme celui de l'inertie. Pas d'autre critère que l'utilité, la rentabilité, le rapport qualité-prix. Le bruit intérieur et extérieur, pour les uns l'agenda trop rempli où chaque moment engrène sur un autre, pour d'autres l'agenda trop vide, la violence et les drogues molles ou dures. Ne plus savoir que l'autre existe aussi intérieurement que moi-même, ne jamais s'arrêter pour rien, dans le saisissement d'une musique ou d'une rose, ne plus rendre grâce — puisque tout m'est dû. Ignorer que tout s'enracine dans le mystère et que le mystère m'habite. Oublier Dieu et la création de Dieu. Ne plus savoir s'accepter comme une créature au destin infini. Oublier la mort et le sens possible au-delà d'elle : une névrose spirituelle qui n'a rien à voir avec la sexualité — laquelle devient alors moyen de l'oubli — mais avec le refoulement de la «lumière de la vie» qui donne sens à l'autre, au moindre grain de poussière, à moi-même.

Cet oubli, devenu collectif, ouvre les chemins de l'horreur. Nous nous disons alors que Dieu n'existe pas, la névrose s'accentue, les anges pervers du néant envahissent la scène de l'histoire. Seigneur et maître de ma vie, éveille-moi !

Cette « oisiveté », cette anesthésie de tout l'être, insensibilité, fermeture du cœur profond, exaspération du sexe et de l'intellect, conduit à l'«abattement», à ce que les ascètes nomment l'«acédie» — dégoût de vivre, désespérance. A quoi bon rien ? Fascination du suicide, universelle dérision. Je suis revenu de tout, tout m'est égal, me voici cynique ou engourdi. Très vieux, et sans esprit d'enfance. On peut aussi prendre ses jambes à son cou, fuir dans l'esprit de « domination » et celui des «paroles faciles ». On a besoin d'esclaves et d'ennemis, on les invente, on peut même les sacraliser comme l'a montré René Girard. Dominer, c'est se sentir dieu, avoir des ennemis, c'est les rendre responsables de son angoisse. Torturer l'autre — puisque c'est toujours sa faute —violer son corps et peut-être violer son âme, le tenir à merci, à la limite de l'anéantissement, mais sans le laisser échapper dans la mort —, c'est faire l'expérience d'une sorte de toute-puissance, quasi divine. En lui, je me hais mortel. Le piétinant, je piétine ma propre mort. Nous avons connu les rois-dieux et les tyrans divinisés. Tout exercice de la puissance s'auréole d'une sacralité à laquelle les natures «fémellines», comme disait Proudhon, sont particulièrement sensibles.

C'est pourquoi les premiers chrétiens, au prix de leur vie, refusaient de dire que César est Seigneur. Seul Dieu est Seigneur. D'autres chrétiens, en notre siècle, ont refusé d'adorer la race, ou la classe, et payé le prix. En rappelant qu'il faut rendre à Dieu ce qui est à Dieu et à César ce qui est à César, le Christ a exorcisé la sacralité de la domination. Pendant des siècles, les chrétiens ne l'ont pas toujours fait. Ils ont sanctifié un empereur qui avait tué son fils et sa femme, parce qu'ils croyaient qu'il avait mis la domination au service de Dieu. Espérance, parfois réalisée, d'une puissance qui devient service. Coûteuse illusion le plus souvent.

Et l'Eglise même combien contaminée par l'esprit de domination?

Quant aux «paroles faciles», — l'expression est évangélique — elles désignent tout exercice de la pensée et de l'imagination qui se retranche du silence, de l'émerveillement et de l'angoisse d'être, du mystère. Elles concernent toute approche de l'homme qui prétend l'expliquer, le réduire, en ignorant en lui l'inexplicable et l'irréductible. Toute approche de la création qui méprise ses rythmes et sa beauté. Saisie et non saisissement. Fantasmes d'un art qui ne veut plus être nuptial.

Nous sommes dans une civilisation de vaines paroles, de vaines images, où les besoins, hypertrophiés, piratent le désir, où l'argent pétrit les rêves, où la publicité devient l'inverse de l'ascèse, cette réduction volontaire des besoins pour le partage et la libération du désir. Pour autant en attente d'une parole de vie, pesant son poids de silence et de mort démasquée, une parole de résurrection.

L’esprit de pureté, d'humilité, de patience et de charité, donne à ton serviteur ;

A chaque demande, nous nous reconnaissons «serviteurs», créatures recréées par un Souffle qui monte du plus profond de nous. La prière n'est pas une simple méditation ; elle est rencontre, mise en relation, «conversation», disaient les vieux moines. Car Dieu nous parle : par l'Ecriture, par les êtres et les choses, par les situations de notre existence, par sa présence aussi paroles de silence, pleines de douceur, touches de feu dans le cœur (et non bavardage inventé, impudique, illusoire). Seule pareille prière peut briser le cercle magique de la philautia, narcissisme métaphysique, esprit de «domination» et de suffisance. Les «vertus» qu'énumère la prière, et qui coexistent pour s'unir, s'enracinent ainsi dans la foi. Dans cette perspective, la «vertu» n'est pas simplement morale, elle participe à l'humanité du Christ, humanité déifiée où les virtualités de l'humain sont pleinement réalisées par l'union avec les Noms divins qu'elles reflètent.

La «pureté» est loin de ne désigner que la continence, comme le voudrait une acception moralisatrice et rétrécie. Elle évoque bien plutôt intégration et intégralité. L'homme pur et chaste n'est plus disloqué, emporté comme un fétu par les vagues d'un éros impersonnel. Il intègre l'éros dans la communion, la force de la vie dans une existence personnelle en relation. Le moine, pour qui, en effet, chasteté signifie continence (mais toute continence n'est pas chaste), consume son éros dans l'agapé, dans la rencontre du Dieu vivant, infiniment personnel, dans l'admiration inépuisable — douleur puis émerveillement — pour le Crucifié vainqueur de la mort. Alors il peut rencontrer les autres avec une attention désintéressée, vieillard-enfant, «beau vieillard» entraîné dans la non-séparation christique.

La chasteté, pour l'homme et la femme qui s'aiment d'un noble et fidèle amour, c'est, en Christ uni à son Eglise, en Dieu épousant l'humanité et la terre, à la lumière de l'uni-diversité trinitaire, la transformation, — agapique elle aussi — de l'éros en langage d'une rencontre, en expression des personnes dans la tendresse d'une patiente et réciproque découverte. Et l'enfant, petit hôte inconnu, ou tel hôte inattendu ou trop connu, surgissent toujours à temps pour empêcher la passion de se clore sur elle-même dans une parodie d'absolu.

Pure et chaste est une pensée, une parole, une expression que traverse, en toute franchise et réalisme (petit moine, ne baisse pas sottement les yeux devant les dames) cette pureté fondamentale, ce respect des corps, ce rassemblement de la vie dans un mystère qui la pacifie et l'unifie. La Bible vomit l'extase impersonnelle de la prostitution sacrée, elle met l'accent sur le «Cantique des cantiques» d'une rencontre cherchée, perdue, retrouvée, car Dieu est le «toujours cherché», disait saint Grégoire de Nysse, et sur une humble fidélité, car Dieu est le toujours Fidèle.

L'« humilité » inscrit la foi dans l'existence quotidienne. Je n'ai rien qui ne me soit donné. Précaire, si souvent sur le point de se rompre, le fil de mon existence n'est maintenu, renoué, que par l'étrange volonté d'un Autre. L'humilité «est un don de Dieu lui-même et un don venant de lui», dit saint Jean Climaque, «car il est dit: apprenez, non d'un ange ni d'un homme, mais de moi — de moi demeurant en vous, de mon illumination et de mon opération en vous — que je suis doux et humble de cœur, de pensées et d'esprit, et vous trouverez pour vos âmes l'apaisement des combats et le soulagement des pensées». Humble est le publicain de la parabole, qui ne saurait prétendre à la vertu, lui, le «collaborateur» méprisé, et ne compte que sur la miséricorde de Dieu, tandis que le pharisien, trop parfait, n'a certes pas besoin de Sauveur. L'homme parfait, sûr de lui, orgueilleux de sa vertu, il n'y a pas de place pour lui et pour Dieu dans le monde : il occupe tout. L'homme humble, au contraire, fait place. II s'ouvre à la gratuité du salut, il l'accueille avec gratitude en revêtant son cœur d'un habit de fête.

Humilité-humus: non écrasement mais fécondité. L'humilité est active, elle laboure la terre, la prépare, pour qu'elle rapporte cent pour un quand sera passé le Semeur.

L'humilité est une vertu qu'on voit chez l'autre, mais qu'on ne peut voir chez soi. Celui qui dirait : je suis humble, serait un pauvre vaniteux. Humble, on le devient sans le chercher, par l'obéissance, le détachement, le respect du mystère en sa gratuité, l'ouverture, donc, à la grâce. Par la « crainte de Dieu » surtout, qui n'est pas la terreur de l'esclave devant un maître qui châtie, mais l'épouvante, soudain, de perdre sa vie dans l'illusion, dans l'ubuesque ventripotence du moi, dans la boursouflure de néant des «passions». La «crainte de Dieu» nous rend humbles, elle nous délivre de la crainte du monde — je suis libre parce que je n'ai plus rien, dit un personnage du Premier Cercle de Soljenitsyne — elle se transforme peu à peu en cette crainte émerveillée que donne tout grand amour. L'humilité s'exprime dans la capacité d'attention à l'autre, aux veines du bois, au scorpion sur la marche de l'escalier, voire à ce nuage éphémère, un instant si beau. L'humilité permet l'éveil, la capacité de « voir les secrets de la gloire de Dieu cachés dans les êtres. »

L'humilité est le fondement et le résultat des «vertus», l'un et l'autre invisibles à nos propres yeux. C'est une sensibilité de tout l'être à la résurrection.

Si nous ne pouvons rien savoir de l'insaisissable humilité, nous pouvons beaucoup apprendre de la « patience » dans les humiliations. Ce que nous cherchons dans l'abstinence, vous le trouverez dans la patience devant les inévitables vicissitudes, voire tragédies, de l'existence, disent les moines à ceux qui restent dans le monde. La patience est en effet un monachisme intériorisé. Donc le contraire de l'abattement qui, si souvent, provient du désir, comme adolescent, d'avoir tout, et tout de suite (la patience a conduit Thérèse de Lisieux à transfigurer cette impatience en exigence de sainteté). La patience fait confiance au temps. Non pas seulement le temps ordinaire où la mort a le dernier mot, le temps qui use, sépare et détruit, mais le temps mêlé d'éternité que nous offre la Résurrection. Le temps qui va à la mort est celui de l'angoisse ; le temps qui va à la résurrection, celui de l'espérance. Ainsi la patience est attentive aux maturations, parfois paradoxales comme celle du grain qui meurt pour porter beaucoup de fruit. Elle sait, en effet, que les expériences de mort peuvent devenir des étapes, de quasi initiatiques ruptures de niveau, si elles nous jettent au pied de la croix vivifiante et font refluer en nous l'eau vive du baptême. Quand Dieu semble se retirer, quand le regard de l'autre me pétrifie ou se pétrifie dans la mort, quand s'effondrent les espoirs personnels et collectifs, la patience fait confiance. En quoi elle s'apparente à la charité dont saint Paul nous dit qu'« elle excuse tout, croit tout, espère tout, supporte tout» (1 Co 13, 7).

Les Pères ont souvent évoqué la «patience de Job», Dostoïevski et Berdiaev ont évoqué aussi sa révolte. Mais c'est une révolte non dans le vide mais dans une sorte de foi. Job refuse les aimables théodicées des théologiens en chambre, mais il sait que Quelqu'un le cherche à travers l'expérience même du mal.

« Patience dans l'azur » ou patience dans les ténèbres, le poète [Paul Valéry] a raison


«Chaque atome
de silence
Est la chance
D'un fruit mûr.»


Et tout culmine en effet dans la «charité» qui constitue la synthèse de toutes les «« vertus » dont l'essence est le Christ. Se libérer, par la patience et l'espérance, des «passions» impatientes et désespérées, permet d'acquérir peu à peu l'apathéia, qui n'est pas l'impassibilité stoïcienne mais la liberté intérieure et la participation à l'« amour fou » de Dieu pour ses créatures. Syméon le Nouveau Théologien disait de l'homme qui se sanctifie qu'il devient «un pauvre rempli d'amour fraternel» . Pauvre, parce qu'il se dépouille de ses rôles, de son importance sociale (ou ecclésiastique), de ses personnages névrotiques, parce qu'il ouvre simultanément à Dieu et à l'autre, ne séparant pas prière et service. Il peut alors discerner la personne d'autrui sous tant de masques, de laideur, de péchés, comme le fait Jésus dans les évangiles. Et pacifier ceux qui se haïssent et voudraient détruire le monde.

La scène du jugement, au 25e chapitre de saint Matthieu, montre que l'exercice de l'amour actif— nourrir, accueillir, vêtir, loger, soigner, libérer — n'a nullement besoin de faire claquer au vent la bannière de Dieu, car l'homme est pour l'homme un sacrement du Christ, «homme-maximum» . Un sacrement secret et concret.

Abba Antoine dit encore : «La vie et la mort dépendent de notre prochain. En effet, si nous gagnons notre frère, nous gagnons Dieu. Mais si nous scandalisons notre frère, nous péchons contre le Christ. »


Et Isaac le Syrien : «Frère, je te recommande ceci: Qu'en toi le poids de la compassion fasse pencher la balance jusqu'à ce que tu sentes dans ton cœur la compassion même que Dieu a pour le monde.»


Oui, Seigneur et Roi, donne-moi de voir mes fautes et de ne pas juger mon frère, car tu es béni dans les siècles des siècles, Amen.


La demande ultime dénonce, démasque une des formes les plus effrayantes du péché, aussi bien sur le plan personnel que sur le plan collectif : se justifier en condamnant, se diviniser en damnant, haïr, mépriser, disqualifier avec la bonne conscience du juste.


«Voir ses fautes» obéit à l'injonction première de l'Evangile : «Repentez-vous, car le Royaume de Dieu est proche.» Quand la lumière en effet se fait proche, elle débusque en nous les ténèbres. L'homme qui se découvre ainsi, et dont l'intelligence et le cœur — qui s'identifient dans la Bible — se retournent, prend la mesure de sa déviance, de sa perte où il entraîne d'autres, du néant qui le guette et déjà le pénètre, de l'abîme sur lequel il a jeté quelques planches dérisoires, aujourd'hui brisées. Telle est bien la «mémoire de la mort» dont parlent les ascètes : mise à nu de cette angoisse fondamentale que nous refoulons, mais qui, justement, s'exprime dans la haine du frère, dans le besoin frénétique de le juger, comprenons : de le condamner. Mais si la «mémoire de la mort» est traversée non par la dérision mais par la foi, celle-ci découvre plus profond encore, s'interposant entre nous et le néant, le Christ vainqueur de l'enfer. En lui, toute séparation est surmontée : le caractère inaccessible de Dieu, le péché, la mort. Je ne suis pas jugé, mais sauvé, je n'ai plus à juger mais à sauver.

«Voir ses fautes», ce n'est pas comptabiliser des transgressions, c'est se sentir asphyxié, noyé, perdu, et gesticuler vainement dans cette perte, trahir l'amour, mépriser en ricanant tant on se méprise. C'est étouffer dans les eaux de la mort, afin qu'elles deviennent baptismales. Mourir mais désormais en Christ pour renaître dans son souffle et reprendre pied dans la maison du Père. «Il est plus grand de voir ses péchés que de ressusciter les morts», dit un vieil adage. Car voir ses péchés, c'est passer par la plus dure mort, tandis que, après la renaissance «baptismale», c'est sans y penser qu'on multiplie la vie, puisqu'on est devenu un « pacificateur de l'existence ». Encore qu'il faille «verser le sang de son cœur», disait le starets Silouane du mont Athos, pour ébranler certaines négations, briser la pierre de certains cœurs, pouvoir implorer le salut universel.


Celui qui voit ses péchés et ne juge pas son frère devient capable de l'aimer vraiment. Je me suis suffisamment déçu pour ne plus l'être par quiconque. Je sais que l'homme, à l'image de Dieu, est Secret et Amour, mais que cet amour peut devenir haine. Je respecte le Secret, je n'attends rien en retour. Que vienne l'amour, c'est pure grâce.


Alors, bénir. Tenter de devenir non pas un être de possession — qui possède et qui est possédé — mais un être de bénédiction. Réciprocité sans limites de la bénédiction : bénir Dieu qui nous bénit, tout bénir dans sa lumière, sans oublier que la bénédiction, pour ne pas devenir «vaines paroles», doit se faire «bénédiction». Oui, agir la bénédiction reçue au profond de soi, se soumettre à toute vie pour la faire grandir toute, pour qu'elle devienne bénédiction.

La prière de saint Ephrem suggère bien ce qu'est l'ascèse: jeûner, mais non uniquement de la nourriture du corps, aussi de l'alourdissement de l'âme, afin que nous ne vivions pas seulement de pain (d'images, de bruits, d'excitations) mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. Jeûner des «passions», du désir de dominer et de condamner. Pour atteindre la vraie liberté dont a su parler saint Jean Climaque: «Sois roi dans ton cœur, règne dans la hauteur de l'humilité, commandant au rire : viens, et il vient ; aux douces larmes : venez, et elles viennent ; et au corps, serviteur et non plus tyran : fais cela, et il le fait. »

Extrait de:
Olivier Clément, Trois prières: Le notre Père, La prière au Saint Esprit, La prière de saint Ephrem, Paris Desclée de Brouwer, 1993.















































vendredi 24 février 2012

Un nouveau film de Pavel Lounguine

Le cinéaste Pavel Lounguine a réalisé un nouveau film, « Le chef d’orchestre », il s’est inspiré de l’œuvre musicale du métropolite Hilarion de Volokolamsk « La Passion selon Mathieu » [1]. L’action du film se situe à Jérusalem. Un orchestre vient dans cette ville afin d’y interpréter « La Passion ». Des évènements tragiques induisent chez les personnages une véritable renaissance spirituelle.

Le film sortira en avril, à la fin du grand carême. Le 26 février la télévision [russe] a programmé une émission intitulée « Le dimanche du Pardon ». Le métropolite Hilarion s’y entretiendra avec Pavel Lounguine. Ils parleront de la repentance, du pardon, de l’amour, de l’art ainsi que du « Chef d’orchestre ».

[1] Mgr Hilarion (Alfeyev), est le président du département des relations extérieures du Patriarcat de Moscou, c'est-à-dire, sommairement parlant, le numéro 2 de l'Eglise de Russie.

Ceux qui ont aimé "Le Tsar" et surtout "L'Ile", ce film sublime, ne pourront pas manquer d'être attentifs à celui-ci.

Lettre d'une moniale à un nouvel orthodoxe

Cher Jean,

Je comprends que vous êtes sur la bonne voie pour devenir orthodoxe. Je ne sais rien sur vous, au-delà du fait que vous êtes Anglais.

Avant d'aller plus loin, il y a un point je tiens à souligner. On ne m'a pas dit pourquoi vous êtes sur le point de vous convertir, mais je vous assure qu'il n'y a pas le moins du monde à le faire, si c'est pour des raisons négatives. Vous trouverez autant de "mauvais" (si ce n'est plus) dans l'Orthodoxie que dans les églises anglicanes ou romaines.

Donc - le premier point est le suivant : êtes-vous prêt à faire face aux mensonges, à l'hypocrisie, au mal et à tout le reste, tout autant dans l'Orthodoxie que dans toute autre religion ou confession?

Vous attendez-vous à une sorte de paradis terrestre et avec beaucoup d'encens et le bon type de musique?

Vous attendez-vous à aller tout droit au paradis si vous vous signez lentement, pompeusement et avec la forme correcte en partant du côté droit?

Avez-vous un livre de cuisine avec toutes les recettes russes authentiques pour les fêtes de Pâques?

Etes-vous un expert pour embrasser trois fois à chaque occasion possible, ou inappropriée?

Pouvez-vous vous prosterner avec élégance sans perdre une grande variété d'articles de papeterie de vos poches?

OU...

Avez-vous lu les Evangiles?

Avez-vous rencontré le Christ crucifié? En esprit avez-vous assisté à la Cène - [connaissez-vous] le sens de la Sainte Communion?

ET...

Êtes-vous prêt, en toute humilité, à comprendre que vous ne saurez jamais rien, dans cette vie, au-delà de la foi; que la foi, c'est accepter la vérité sans preuve. La foi et la connaissance sont la contradiction ultime et l'absorption ultime l'une dans l'autre.

L'Orthodoxie vivante est basée sur le paradoxe, qui est reporté sur le culte - privé ou public.

Nous savons parce que nous croyons et nous croyons parce que nous savons.

Par-dessus tout, êtes-vous prêt à accepter toutes choses comme venant de Dieu?

Si nous sommes censés, toujours, être "heureux", pourquoi la crucifixion? Êtes-vous prêt, quoi qu'il arrive, à croire que quelque part, d'une certaine manière, il doit y avoir un sens? Cela ne signifie pas l'acceptation passive, mais cela signifie une vigilance constante, l'écoute, pour ce qui est exigé, et surtout, l'amour.

Pauvre, vieux, malade, jusqu'à notre dernier souffle, nous pouvons aimer. Pas un non-sens sentimental si souvent confondu avec l'amour, mais l'amour du sacrifice - la crucifixion intérieure de l'avidité, de l'envie, de l'orgueil.

Et ne jamais confondre l'amour avec la sentimentalité.

Et ne jamais confondre le culte avec l'affectation.

Soyez humble - aimez, même quand c'est difficile. Non pas l'amour sentimental- et ne traitez pas l'office de l'église comme une représentation théâtrale!

J'espère qu'un peu de tout cela a du sens,

Avec mes meilleurs vœux,

Mère Thekla
(Autrefois higoumène du monastère de l'Assomption, à Normanby)

Mère Thekla a écrit ce qui précède en 2009 quand elle avait 91 ans.

Version française Claude Lopez-Ginisty d'après PRAVMIR citant: The Orthodox Parish of St Aidan and St Chad

Claude Lopez-Ginisty me pardonnera (j'espère) de lui emprunter cette lettre ; elle est trop belle, et je n'ai pas résisté.



jeudi 23 février 2012

Théologie dogmatique de Vladimir Lossky


La Théologie dogmatique de Vladimir Lossky, dont j'ai cité des extraits dans mes billets de tout à l'heure et de jeudi dernier 16 février, vient de paraître aujourd'hui même 23 février.

Elle est en vente, selon la formule consacrée, dans toutes les bonnes librairies au prix de 20 € (19 € si l'on bénéficie de la réduction).

Rappelons que c'est un inédit puisqu'il n'en existait que des versions fragmentaires ou privées. Le volume est constitué d'une série de conférences enregistrées, retranscrites par Olivier Clément.

Tout écrit de cet immense théologien mort trop jeune (à 55 ans) ne peut que susciter un intérêt passionné.

Noms divins & énergies divines selon Vladimir Lossky

Déjà saint Athanase affirmait que la génération du Fils est une œuvre de nature. Et saint Jean Damascène, au VIIIe siècle, distinguera l’œuvre de nature, génération et procession, et l’œuvre de volonté, qui est la création du monde. L’œuvre de nature n’est d’ailleurs pas une œuvre au sens propre, mais l’être même de Dieu : car Dieu est, par sa nature, Père, Fils et Saint-Esprit. Dieu n’a pas besoin de se révéler à lui-même, par une sorte de prise de conscience du Père dans le Fils et l’Esprit, comme l’a cru un Boulgakov. La révélation n’est pensable que par rapport à l’autre que Dieu, c’est-à-dire dans la création. Pas plus qu’il n’y a dans l’existence trinitaire le résultat d’un acte de volonté, il est impossible d’y voir le processus d’une nécessité interne.

II faut donc soigneusement distinguer de la causalité du Père qui pose les trois hypostases dans leur diversité absolue et sans qu’on puisse établir entre elles un ordre quelconque, sa révélation ou manifestation. L’Esprit, par le Fils, nous mène au Père où nous découvrons l’unité des Trois. Le Père, selon la terminologie de saint Basile, se révèle par le Fils dans l’Esprit. Ici s’affirme un processus, un ordre d’où résulte celui des trois Noms : Père, Fils et Saint-Esprit.

De même tous les Noms divins, qui nous communiquent la vie commune aux Trois, nous viennent du Père par le Fils, dans le Saint-Esprit. Le Père est la source, le Fils la manifestation, l’Esprit la force qui manifeste. Ainsi le Père est-il la source de la Sagesse, le Fils la Sagesse elle-même, l’Esprit la force qui nous approprie la Sagesse. Ou encore, le Père est la source de l’amour, le Fils amour qui se révèle, l’Esprit amour en nous réalisé. Ou, selon l’admirable formule de Mgr Philarète, le Père est l’amour crucifiant, le Fils l’amour crucifié, l’Esprit l’amour triomphant. Les Noms divins sont l’écoulement de la vie divine dont la source est le Père, que nous montre le Fils et que l’Esprit nous communique.

La théologie byzantine nomme " énergies " ces Noms divins : le mot convient particulièrement à ce rayonnement éternel de la nature divine : mieux que les attributs de la théologie scolaire, il évoque pour nous ces forces vivantes, ces jaillissements, ces débordements de la gloire divine. Car la théorie des énergies incréées est profondément biblique : la Bible évoque souvent la gloire flamboyante et tonnante qui fait connaître Dieu hors de lui-même tout en le dissimulant sous une profusion de lumière. Saint Cyrille d’Alexandrie parle de la splendeur de l’essence divine qui se manifeste. Les termes lumineux, qui n’ont rien ici de métaphorique mais expriment l’expérience de la plus haute contemplation, reviennent sans cesse pour désigner le resplendissement d’une éblouissante beauté. La gloire divine est multiforme. " Jésus a fait encore bien d’autres choses : si on les écrivait une à une, le monde entier, je crois, ne pourrait contenir les livres qu’on en écrirait " (Jn 21, 25).

De même, le monde entier ne peut contenir les noms innombrables de la gloire. Dunameis dit le Pseudo-Denys : et tantôt il parle au singulier, tantôt au pluriel. Le nombre ici n’a que faire. Ni un, ni plusieurs, mais l’infinité des Noms divins. Dieu est Sagesse, Amour, Justice..., non parce qu’il le veut, mais parce qu’il est tel. Il n’y a pas ici de mascarade : Dieu montre ce qu’il est. Nous ne pouvons connaître jusqu’au fond l’essence divine, mais nous connaissons ce rayonnement de gloire qui est vraiment Dieu : car si nous appelons essence la nature divine en tant qu’elle est transcendance inépuisable, et si nous l’appelons énergie en tant qu’elle se manifeste glorieusement, c’est toujours la même nature. " Père, glorifie-moi de cette gloire que j’avais avant que le monde ne fût " (Jn 17,5). La manifestation énergétique ne dépend donc pas de la création : elle est rayonnement de toujours, que ne conditionne nullement l’existence ou l’inexistence du monde. Certes, nous la découvrons dans la créature, car " depuis la création du monde, les œuvres (de Dieu) rendent visibles à l’intelligence ses attributs invisibles " (Rm 1, 20) : la créature est marquée du sceau de la divinité. Mais cette présence divine est une gloire permanente, éternelle, une manifestation non-contingente de l’essence, comme telle inconnaissable. C’est la lumière qui de toute éternité baigne la plénitude en soi parfaite de la vie trinitaire.

 
Extrait de Théologie dogmatique




jeudi 16 février 2012

La Divine Trinité selon Vladimir Lossky

La théologie chrétienne ne connaît pas de divinité abstraite : Dieu ne peut être conçu en dehors des trois personnes. Si " ousia " et " hypostasis " sont presque des synonymes, c’est comme pour briser notre raison, pour nous empêcher d’objectiver l’essence divine hors des personnes et de leur " éternel mouvement d’amour " (saint Maxime le Confesseur). Un Dieu concret, puisque l’unique divinité est à la fois commune aux trois hypostases et propre à chacune d’elles : au Père comme source, au Fils comme engendré, à l’Esprit car procédant du Père.

Le terme de " monarchie " du Père est courant dans la grande théologie du IVe siècle : il signifie que la source même de la divinité est personnelle. Le Père est la divinité, mais justement parce qu’il est le Père, il la confère dans sa plénitude aux deux autres personnes : celles-ci prennent leur origine du Père, unique principe, d’où le terme de " monarchie ". La " divinité source ", dit du Père Denys l’Aréopagite. C’est d’elle en effet que jaillit, en elle que s’enracine la divinité identique et non-partagée, mais différemment communiquée, du Fils et du Saint-Esprit. La notion de monarchie note donc d’un seul mot l’unité et la différence en Dieu, à partir d’un principe personnel. Le plus grand théologien de la Trinité, saint Grégoire de Nazianze, ne peut évoquer ce mystère que par de véritables poèmes, seuls capables de faire surgir un au-delà des mots. " Ils ne sont pas divisés en volonté, écrit-il, ils ne sont pas séparés en puissances ", ni en aucun autre attribut. " Pour tout dire la divinité est non partagée dans les partageants. " " Dans trois soleils qui se compénétreraient, unique serait la lumière ", car le Verbe et l’Esprit sont deux rayons d’un même soleil, ou " plutôt deux soleils nouveaux ".

Ainsi la Trinité est-elle le mystère initial, le Saint des Saints de la réalité divine, la vie même du Dieu caché, du Dieu vivant. Seule la poésie peut l’évoquer, justement parce qu’elle célèbre et ne prétend pas expliquer. Toute existence et toute connaissance sont postérieures à la Trinité et trouvent en elle leur fondement, La Trinité ne peut être saisie par l’Homme. C’est elle qui saisit l’homme et suscite en lui la louange. Hors de la louange et de l’adoration, hors du rapport personnel de la foi, notre langage, parlant de la Trinité, est toujours fausse. Si Grégoire le Théologien écrit des Trois qu’" ils ne sont pas divisés en volonté ", c’est que nous ne pouvons dire que le Fils a été engendré par la volonté du Père : nous ne pouvons pas penser le Père sans le Fils, il est Père-avec-un-Fils, c’est ainsi de toute éternité, il n’y a pas d’acte dans la Trinité et parler même d’état impliquerait une passivité qui ne saurait convenir. " Lorsque nous visons la divinité, la cause première, la monarchie, le Un nous apparaît : et lorsque nous visons ceux en qui est la divinité et qui procèdent du principe premier en même éternité et gloire, nous adorons les Trois˝ (saint Grégoire de Nazianze).

La monarchie du Père n’impliquerait-elle pas une certaine subordination du Fils et de l’Esprit ? Non, car un principe ne peut être parfait que s’il est le principe d’une réalité qui l’égale. Les Pères grecs parlaient volontiers du " Père-cause ", mais ce n’est qu’un terme analogique dont l’usage purifiant de l’apophatisme nous permet de mesurer la déficience : dans nos expériences la cause est supérieure à l’effet : en Dieu, au contraire, la cause comme accomplissement de l’amour personnel ne peut produire des effets inférieurs : elle les veut égaux en dignité, elle est donc aussi la cause de leur égalité. En Dieu d’ailleurs, il n’y a pas extraposition de la cause et de l’effet, mais causalité à l’intérieur d’une même nature. La causalité ici ne suscite pas un effet comme dans le monde matériel, ni un effet qui se résorbe dans sa cause, comme dans les hiérarchies ontologiques de l’Inde et du néoplatonisme, elle est seulement l’image impuissante d’une inexprimable communion. Le Père " ne serait le Principe que de choses mesquines et indignes, bien plus, il ne serait Principe que d’une façon mesquine et sans dignité, s’il n’était pas le principe de la divinité et de la bonté qu’on adore dans le Fils et le Saint-Esprit : dans l’un comme Fils et Verbe, dans l’autre comme Esprit procédant sans séparation " (saint Grégoire de Nazianze). Le Père ne serait pas une véritable personne s’il ne l’était pros, vers, entièrement tourné vers d’autres personnes, entièrement communiqué à elles qu’il rend personnes, donc égales, par l’intégralité de son amour.

La Trinité n’est donc pas le résultat d’un processus, mais une donnée primordiale. Elle n’a de principe qu’en elle, non au-dessus d’elle : rien ne lui est supérieur. L’arché, la monarchie, ne se manifeste que dans, par et pour la Trinité, dans le rapport des Trois, dans un rapport toujours ternaire, à l’exclusion de toute opposition, de toute diade.

(à suivre)

Extrait de Théologie dogmatique, conférences orales enregistrées. transcrites et préparées par Olivier Clément

Merci à mon ami A Valle Sancta ( http://blog.avallesancta.com/) de m'avoir signalé la prochaine parution de ce livre à l'occasion des Journées du Livre orthodoxe, les 17 et 18 février que j'ai annoncées dans un billet du 11 février
voir ttp://www.orthodoxie.com/2012/02/les-nouveaut%C3%A9s-aux-journ%C3%A9es-du-livre-orthodoxe-et-autres-nouvelles.html




La Trinité Saint-Serge



La Cathédrale de l'Assomption au monastère de la Trinité-Saint-Serge, à Serguiev Possad.

 Cité de l’Anneau d’or, Serguiev Possad s’enorgueillit du monastère de la Trinité-Saint-Serge, assimilé au cœur de la foi orthodoxe russe et classé au patrimoine mondial de l’Unesco.

À 70 kilomètres au nord de Moscou, Serguiev Possad - ou Zagorsk à l’ère soviétique, en l’honneur du compagnon de Lénine, Vladimir Zagorski - est une étape incontournable sur la route d’Alexandrov.

Le monastère de la Trinité-Saint-Serge est pour de nombreux Russes certes un symbole de spiritualité mais aussi de patriotisme. Fondé vers 1345 par Serge de Radonège, saint patron de la Russie, il est une fierté nationale. Dès les premières années après sa création, l’édifice religieux joue un rôle primordial dans la vie spirituelle, politique et culturelle du pays. Soutenant toujours l’État, il réussit à s’attribuer les faveurs des émi¬nences de l’époque, ce qui lui permet de faire croître ses terres et ses richesses.


Le monastère, qui est également à vocation militaire, se dote dès 1540 d’épaisses murailles fortifiées, percées de onze tours. D’impressionnants remparts qui expliquent pourquoi de nombreux princes s’y sont réfugiés durant les années noires de l’histoire russe, à l’instar de la tsarevna Sophie et de ses frères Pierre (futur Pierre le Grand) et Ivan, en 1682, durant la révolte des streltsy.


Au XVIIIème siècle, le monastère devient le plus riche propriétaire foncier de Russie et se voit décerner le rang honorifique de Laure par Elisabeth Petrovna, fille de Pierre le Grand. Dès l’arrivée des Bolcheviks au pouvoir, l’édifice est fermé - son patrimoine nationalisé et ses moines chassés -, pour devenir un musée d’Histoire et des Arts. Il faudra un demi-siècle au monastère pour retrouver ses lettres de noblesse.


Les murailles protègent encore aujourd’hui un ensemble ecclésiastique surprenant de neuf églises, deux cathédrales, un séminaire, la Chambre des Métropolites (qui accueille le patriarche de Moscou et de toutes les Russies à chacun de ses déplacements), un musée d’art, une source d’eau miraculeuse et une académie ecclésiastique.


Cette dernière a aujourd’hui bel et bien retrouvé sa réputation puisqu’après avoir été fermée par les Bolcheviks, elle redevient la principale « pierre » du monastère, considéré comme l’un des plus actifs de Russie. Environ 300 moines s’y forment et confirment sa qualité de haut lieu de la spiritualité. Chaque année, plus d’un million de pèlerins convergent vers ce sanctuaire, principalement à la Pâque orthodoxe, à la Pentecôte et le 18 juillet, fête de la Saint Serge, fondateur de la Laure.

source : http://larussiedaujourdhui.fr/

Je me suis moi-même rendu dans ce haut-lieu de la Sainte Russie il y a une dizaine d'années. Quelle sensation ! La sublimité monastique et ecclésiale y côtoie la simplicité paysanne et terrienne, ou, mieux dit, selon les paroles de l'Ecriture : le ciel y épouse la terre !

Et le musée d'icônes : quelle immense collection de merveilles, de fenêtres ouvertes sur la Transfiguration !

Et les choeurs : beauté pure ! Non pas angéliques, car bien incarnés, mais eux aussi transfigurés !

Non, cela ne s'oublie pas.
















mardi 14 février 2012

Constantinople et l'Europe



Allocution du patriarche Bartholomée Ier
au dîner-débat de l'Institut français des relations internationales
le 12 février 2012
(extraits)
[…]
Après deux guerres mondiales, l’Europe, elle-même victime de son propre dynamisme, a cherché à se dépasser et à se réinventer à travers le processus de la construction européenne. Avec la fin de la guerre froide, la réussite de ce projet est devenue indéniable. Pourtant, l’histoire ne s’arrête pas.

Devant les nouvelles crises d’aujourd’hui, l’Europe est à nouveau appelée à faire preuve de courage moral et intellectuel.

On peut certes espérer que les problèmes internes à l’Europe qui ont conduit aux deux grandes guerres sont largement dépassés. Pourtant, des nouvelles difficultés apparaissent avec le changement de l’environnement géopolitique, géoéconomique et géoculturel. Les analyses des spécialistes des relations internationales, vos analyses, montrent que nous nous orientons vers des réalités inédites. Unifié économiquement, organisé autour de plusieurs pôles et géré par une communauté internationale qui cherche ses valeurs et ses modes d’action, le nouveau siècle s’éloigne de l’image simple d’un ensemble d’États souverains à laquelle nous nous étions habitués.

C’est dans ce contexte d’instabilité et de fluidité que l’Europe est invitée à découvrir une nouvelle voie qui lui permettra de faire face aux défis contradictoires de l’inégalité générationnelle et de l’inégalité géographique, sans succomber aux tentations de l’exclusion et de l’hégémonisme, sans rechuter dans des cycles de conflits et de violence.

La question des valeurs de la civilisation européenne ne peut plus être éludée. Le moment est venu pour repenser l’histoire européenne. Il faudrait peut-être revenir sur la bifurcation que nous avons considérée au début comme son point de départ. En définissant comme origine de l’Europe la rencontre entre Athènes, Jérusalem et Rome, plutôt que l’empire de Charlemagne ou le Schisme de 1054, il serait possible de renouer avec des valeurs souvent oubliées en faveur d’un utilitarisme qui ne pouvait que conduire aux impasses environnementales et géopolitiques actuelles.

Un tel changement d’échelle temporelle conduira forcement à un changement d’échelle géographique. L’ouverture de l’Europe à tous les héritiers d’un patrimoine historique élargi lui permettra de s’approcher encore plus aux autres Chrétiens, ainsi qu’aux Musulmans et aux Juifs et de contribuer à leur réconciliation. Elle le leur doit, puisque l’introduction de sa modernité a déclenché les crises qui ont brisé leur cohabitation traditionnelle.

Certes pour les Européens, un tel changement ne peut-être que douloureux du point de vue identitaire. Pour beaucoup il serait ressenti comme un reniement de leur tradition. Il suffit de suivre les débats actuels sur la place des Musulmans en Europe ou encore sur la demande d’adhésion de la Turquie en Union européenne pour se rendre compte des crispations identitaires et des tensions politiques que provoquent ces débats. Les difficultés et même les risques de dérives politiques ne peuvent pas être sous-estimés. Pourtant, est-ce possible d’éviter ou même de retarder ce débat ?

La réconciliation franco-allemande a démontré que l’Europe est capable de changer profondément.

Suite aux traumatismes de deux guerres fratricides et devant les nouvelles configurations qui ont résulté de la deuxième guerre mondiale, l’Europe a réussi à fortement nuancer les frontières mentales qui séparaient ses nations. En prenant conscience des changements tectoniques du siècle nouveau et des nouveaux défis, elle doit avancer plus loin sur cette voie. Il s’agit maintenant de rendre moins étanches les murs d’altérité qui la séparent des peuples de son voisinage.

Dans cette nouvelle aventure européenne, le monde orthodoxe désire apporter sa contribution.

Proche à l’Europe et à son devenir historique, elle a néanmoins préservé certains éléments de l’héritage commun, grâce auxquels il est possible de réinvestir des valeurs sans doute trop rapidement abandonnées.

Si renouer avec les valeurs qui permettaient une relation plus harmonieuse avec la nature peut constituer un apport de l’Église orthodoxe à l’Europe, sa proximité, son expérience de cohabitation et ses affinités culturelles avec les peuples du Moyen Orient et de l’Afrique lui permettent de contribuer à l’échange, au dialogue, au pansement de plaies créées par une présence européenne perçue souvent comme trop agressive. […]

Constantinople, aujourd’hui Istanbul, grand carrefour géographique et historique, espère participer activement à cet effort de renouveau en tant que lien de l’Europe institutionnelle avec les Orthodoxes du monde entier, ainsi qu’avec les peuples de notre voisinage géographique traditionnel.

Pendant le grand tournant que nous vivons, l’Europe a intérêt à défendre et à développer toutes les ressources qu’elle devra mobiliser pour démentir la prévision de son déclin.

pour le texte intégral voir 
 http://www.la-croix.com/Religion/Approfondir/Documents/Allocution-du-patriarche-Bartholomeos-Ier-au-diner-debat-de-l-Ifri-_NG_-2011-05-01-586624




dimanche 12 février 2012

Dieu n'est pas un procureur mais un médecin


Les saintes Écritures, les oeuvres des Pères de l'Église antique, et les textes liturgiques de l'Église, tous attestent que l'Église antique n'enseignait pas que l'Incarnation du Christ était destinée à être une propiation de la justice divine, c'est-à-dire à l'apaiser. Au contraire, le Christ est venu comme un médecin, avec l'intention d'apporter la guérison à l'humanité déchue. L'Incarnation du Christ a amené toute la nature humaine à sa divine Nature, pour une guérison. Sa médecine spirituelle apporte la guérison, enlève la souillure du péché qui avait introduit la mort dans le cosmos, et rend tout à la plénitude.

Cette condescendance de Dieu, assumant notre chair humaine, et nous adjoignant sa divinité, ne saurait se voir en termes légalistes, mais doit être comprise d'un point de vue médical. Nous sommes malades. Notre péché n'est pas une question de loi, mais de maladie. Dans notre état déchu, nous avons quitté la communion avec Dieu, et la mort du Christ sur la croix n'a pas été accomplie parce que le Père aurait exigé du sang, mais parce qu'Il désire nous guérir, et restaurer la vie pour ses créatures qui avions hérité la mort de notre ancêtre déchu, Adam. Le fait que le Christ aie assumé notre nature humaine a rendu le traitement curatif possible.

Le Seigneur Jésus a fondé son Église pour être l'hôpital de l'âme, et c'est entre ses murs que nous recevons le remède qui nous mène à la guérison dont nous avons besoin. Dieu ne désire pas la souffrance, ni même notre sang, mais uniquement que nous soyons restaurés à l'image qu'Il avait voulue pour nous. Ce Père aimant n'est pas un procureur, mais notre médecin.

hiéromoine Tryphon
Monastère du Sauveur Tout-Miséricordieux, Eglise Orthodoxe Russe Hors Frontières




samedi 11 février 2012

Ils ont déchiré son image

Un roman fantastique et terrifique de Michel Bernanos, le fils de Georges, roman qui décrit la rebellion de la nature contre l'homme sans Dieu ou plutôt l'homme contre Dieu : «C’est ce qui reste de l’homme créé par Dieu à son image, et qui s’en rit, une espèce de monstre qui n’use de sa force que pour faire le mal et donne un exemple odieux à ses sujets, empressés d’ailleurs de le suivre».

http://www.sombreval.com/Ils-ont-dechire-Son-image-Michel-Bernanos_a529.html

Les Journées du livre orthodoxe à Paris les 17 et 18 février 2012


Journées du livre orthodoxe
sous le haut patronage
de l’Assemblée des évêques orthodoxes de France



Vendredi 17 février 2012, de 16 h. à 20 h.
et Samedi 18 février 2012 de 11 h. à 19 h.

à la Mutuelle Saint-Christophe
277, rue Saint-Jacques - 75005 Paris

Invités d’honneur au grand auditorium Jean XXIII : Le Métropolite Hilarion (Alfeyev) de Volokolamsk
* Conférence pour l’inauguration, vendredi 17 février à 18 h.

Le Hiéromoine Macaire du monastère Simonos Petras au Mont-Athos
* Conférence, samedi 18 février à 12 h.

Auteurs qui dédicaceront :

Bertrand VERGELY - Jean-François COLOSIMO - P. Placide DESEILLE - P. Michel EVDOKIMOV - Nathalie BEAUX-GRIMAL - Alain DUREL - Hiéromoine MACAIRE de Simonos-Petras (Mont-Athos) - Jean-Claude LARCHET - Christine CHAILLOT - Bernard LE CARO - Nicolas ROSS - P. Marc-Antoine COSTA DE BEAUREGARD - Antoine ARJAKOVSKY - Marina COPSIDAS - Hiéromoine Nicolas MOLINIER - Michel STAVROU - P. Jean BOBOC - Jean-Paul LEFEBVRE-FILLEAU - Moniale NECTARIA du monastère de Bussy-en-Othe - Emilie VAN TAACK - Claude LAPORTE - P. Philippe DAUTAIS - P.Serge MODEL - Marc ANDRONIKOFF -Jacqueline DAUXOIS - P. Stéphane HEADLEY - Anne KHOUDOKORMOFF-KOTSCHOUBEY - Bojko BOJOVIC – Anca VASILIU






jeudi 9 février 2012

Jésus raconté par le Juif errant

Je viens de relire un ouvrage oublié d’un auteur oublié : Jésus raconté par le Juif errant, par Edmond Fleg (n. éd. Paris, Albin Michel, 1993, entre 15 et 20 € dans les librairies d’occasion ), tous deux fort injustement.

Qui était Edmond Fleg ? Un des plus brillants représentants de la communauté juive d’entre les deux guerres, et même d’après, puisqu’il mourut en 1963 à presque 90 ans. Poète, dramaturge, romancier, librettiste d’opéra, essayiste, critique littéraire et dramatique, anthologiste, maître à penser de toute une génération d’intellectuels juifs de France, d’Afrique du Nord et même d’Israël, initiateur du scoutisme juif, fondateur avec Jules Isaac en 1948 de l’Amitié Judéo-Chrétienne de France, sa réputation fut considérable. Parmi ses très nombreux ouvrages, il faut absolument citer une Anthologie juive des origines à nos jours (1ère éd. 1923, nouv. éd. complétée Paris, Flammarion, 1951, plus. rééd.) dont nul, s’il s’intéresse au judaïsme, ne peut faire l’économie.

Et puis ce Jésus raconté par le Juif errant, dont la première publication date de 1933 et la dernière, complétée après l’expérience de la guerre et de la Shoah, de 1953. Il fit à l’époque (qu’il faut se remémorer : l’arrivée au pouvoir du nazisme, un antisémitisme quasi institutionnel) l’effet d’un tremblement de terre. Entre juifs et chrétiens il y avait un double refus, un double tabou. Pour la première fois, écrit dans sa Préface le rabbin Josy Eisenberg, quelqu’un eut une « incroyable audace : parler du Juif Jésus aux Juifs, et de Jésus le Juif aux chrétiens » (p. I).

Ce « roman théologique » est, je n’hésite pas à le dire, un petit chef d’œuvre. Il l’est d’abord par la langue et le style, qui sont d’un conteur inspiré. Et aussi par l’inspiration, justement. Fleg s’empare d’une vieille légende médiévale antisémite, et la retourne, tout simplement. Dans la légende, le Juif en question est condamné à errer sans trêve pour avoir refusé un verre d’eau à Jésus titubant sous sa croix et lui avoir craché dessus. Dans le roman, ce Juif est le paralytique guéri par Jésus, qui donc, fasciné par lui, se met à le suivre partout où il va, et, tout en ne cessant de s’interroger : qui est-il vraiment ?, est rempli d’amour pour lui, au point même de chercher à le sauver du piège tendu par Judas (qui n’est pas l’homme tout d’une pièce que l’on se représente). Lors du portement de la croix auquel il assiste en spectateur bouleversé, Jésus lui demande de l’aider ; et s’il refuse, c’est parce qu’on lui annonce que deux de ses cousins ont été pris dans une rafle ordonnée par Pilate : il court, ne les retrouve pas, jusqu’à ce qu’il découvre que les deux « larrons » condamnés au supplice de la croix avec Jésus, ce sont eux !

Il doit donc errer jusqu’à la consommation des temps, non par punition, mais parce que lui, Juif, doit être le témoin perpétuel de Jésus. Comme l’a bien dit le rabbin Josy Eisenberg, ce Juif errant est tout uniment la figure d’Israël.

Pourquoi le présent billet ? pour redonner envie à ceux qui le liront de découvrir ou redécouvrir Edmond Fleg, grand serviteur de l’amour entre les deux Israëls.

J’ai choisi de citer un passage vraiment prophétique (n’oublions pas qu’il a été écrit en 1933) :
(Il s’agit de la montée au Calvaire, pp. 273-274) :

« Maintenant la montée commençait… D’abord les cavaliers… Oui, les cavaliers… Puis l’homme qui soufflait la trompette, avec l’autre, qui criait au coin des rues :

-- On va mettre en croix Jésus de Nazareth ! on va mettre en croix le Roi des Juifs !

Puis ceux qui portaient les chevilles, les clous, les marteaux… Puis lui, avec sa croix, au bout de ses cordes… Puis l’homme qui portait l’écriteau… Ensuite les deux autres, que je ne voyais pas, et, derrière, la foule qui hurlait :

-- Blasphémateur !... Sorcier !... Faux Messie !

De toutes les terrasses, de tous les toits, des sifflets, des huées… Et ces enfants, dont il avait dit : « Laissez venir à moi les petits enfants… » ils venaient à lui, les petits enfants : ils lui lançaient des pierres !... Et lui acceptait ! Pour le salut du monde ! Pour la paix du monde !

Regardez Jérusalem : ces ténèbres, qui se battent avec ces ténèbres ! Eglise contre Mosquée, Mosquée contre Eglise ; Eglise et Mosquée contre Synagogue ! Et, dans la Synagogue, Aschkenazim contre Sefardim ! Dans la Mosquée, Hachémites contre Waabites ! Dans l’Eglise, Romains contre Orthodoxes, Arméniens contre Coptes, Luthériens contre Calvinistes, Anglicans contre Presbytériens ! Et, tout autour, sur tous les continents, usines à canons, à mitrailles, à torpilles ! Usines à microbes, à gaz asphyxiants ! C’était pour cela qu’il montait au Calvaire ! pour ce salut du monde, pour cette paix du monde ! »

Après cela, n’est-ce pas, tout commentaire est superflu…